Il y a de jolies et très connues fables, le renard et la tortue, la cigogne et le pot au lait ou bien encore parmi les plus connues, le chêne et la fourmi…. tous, vous les connaissez. Mais ici à la Fourberie, nous avons une autre fable : le lion, la grenouille et l’amer. Comme dans toutes les fables, cela commence par :
« Il était une fois un grand lion, fort, agile et redoutablement féroce”…
Dans la savane, tous le craignaient et chacun s’arrêtait pour le laisser passer quand il se promenait. Parfois les hyènes lui apportaient à manger un gigot de zèbre pour faire copain-copain. Les antilopes lui préparaient tous les dimanches soir une quiche, son plat préféré. Toujours pour lui faire honneur mais surtout pour avoir la paix, elles variaient leur recette afin de le satisfaire, une fois par mois il avait droit à un gâteau au chocolat.
Le lion prenait de l’embonpoint au fil de l’eau, il courait de moins en moins et restait le plus clair de son temps à pleurer sur son sort car il n’avait pas rencontré l’âme sœur et n’avait toujours pas de petit lionceau. Jour après jour, ses épaules s’affaissaient sous le poids de cette tristesse. A force de dormir la nuit et de faire la sieste le jour à cause de la nourriture pléthorique des hyènes et des antilopes, il ne parcourait plus la savane et ne regardait plus les hanches des lionnes. Le souvenir de leurs cuisses ou de leurs sourires avenants finissait par être de plus en plus ténus. Seul, il sentait bien que son monde était derrière lui, ses amis étaient partis vivre de l’autre côté de la montagne, là où l’on dit que l’herbe est plus verte et les filles dodues. Il voyait bien que les hyènes ricanaient dans son dos mais quand son ami Dumbo l’éléphant commença à se moquer de lui, laissant entendre que le lion, roi de la savane n’était que de l’histoire ancienne, qu’il ressemblait plutôt à la peau de bête qui trônait devant la cheminée dans la maison de la grande mère de Richard (cf le roman « la séparation de corps »), son sang ne fit qu’un tour. Il rugit, s’ébroua et chassa l’éléphant d’un revers de patte. Il sentit en lui un regain d’énergie, non, non, il fallait que les choses changent. En ce début d’après-midi brulante, il décida de se rapprocher du plan d’eau pour se boire une bière bien fraîche et moussante au bar des amis. Il devait se reprendre et aller consulter Hoopy la diseuse de bonne aventure. Hoopy était une jolie grenouille verte aux longues jambes qui résidait non loin du point d’eau. Jamais elle ne prenait une ride au fil des années et les animaux de la savane l’enviaient que ce soient les lionnes, les Thomson ou les panthères. Le lion en son absence s’installa au bar et bien calé, il eut le temps de consommer quelques pintes avant de voir cahin caha, Hoopy arriver. Les bières aidant, il n’avait plus tout à fait les yeux en face des trous, on aurait dit Clarence, d’ailleurs n’était-ce pas Paula la-bas dans sa jeep aux couleurs de zèbre ?
En se rapprochant du lion, comme si elle avait eu besoin de s’expliquer, elle lui précisa qu’elle revenait de sa séance de bronzage, elle était d’un joli vert clair. Hoopy était réputée pour ses dons de diseuse de bonne aventure, elle avait eu à moultes reprises l’occasion de trouver la bonne âme aux animaux esseulés, elle était plus efficace que les annonces du chasseur français. Le lion délaissa le bar un moment pour se rapprocher de Hoopy avec un air de conspirateur. Il se retourna à gauche et à droite pour être sûr que personne ne suivrait sa conversation, après tout, le roi de la savane qui consulte Hoopy, ça pouvait faire cancaner, il fallait se méfier de tout. A voix basse, il expliqua son cas, son désespoir de ne pas avoir eu de lionceau, en raconta son histoire, les larmes lui vinrent aux yeux, il sortit un mouchoir brodé. Touché par son émotion, Hoopy, lui passa une main dans le dos avec douceur. Le lion s’effondra de plus belle, il ne pouvait plus s’arrêter à présent, s’en était trop de ces années de tristesse à regarder le berceau vide dans la tanière familiale. Hoopy se montra enjouée et rassurante, elle lui tira les cartes après avoir poussé les chopines de bière. Son sourire s’élargit. Le lion la regardait, anxieux et surpris. Elle venait de poser cinq cartes. Tout allait s’arranger, elle était sûre de son présage, les choses allaient mieux aller. Il fallait néanmoins avoir du courage. Hoopy lui expliqua qu’il allait devoir parcourir un long périple à travers les contrées, les montagnes et les mers et traverser un lointain pays du nom de la France, le pays des 1500 fromages. Le but du voyage était de se rendre sur une petite plage de Bretagne où trônait un amer qui, un soir de pleine lune chaque année, livrait des oracles. Cette demie tour se transformait alors, ses propos étaient infaillibles et d’une grande autorité. Le lieu était sacré, tous s’accordaient à dire que la vérité surgissait alors, claire et belle, l’eau de la mer autour de l’amer prenait alors une belle couleur émeraude. C’était pour tous, le signe de la vérité sur terre.
Sans perdre de temps, le lion rentra dans sa tanière. Sous le soleil, les bières lui avaient un peu tourné la tête. Sa décision était prise. Il allait le faire. Il allait se rendre sur cette plage, il allait braver les tourments, les déserts, les mers. Après une nuit réparatrice et un Doliprane pour la tête, il se prépara, fit un petit sac de voyage en crocodile (Hermès lui piqua l’idée plus tard) sortit et sans jeter un dernier regard sur sa tanière et sa terre, se mit à galoper vers le nord.
Il se sentait fort. Il retrouvait son allant, cette volonté qui avait fait sa force dans la savane. Une nouvelle fois, il avait un objectif et quel objectif !
Durant des jours sous un soleil écrasant ou sous une voûte céleste des plus lumineuse, il courait, galopait pour finir par arriver devant cette mer qui s’étendait à perte de vue, celle-là même dont Hoopy lui avait parlé et qu’il lui fallait traverser. Rapidement il trouva un navire dans lequel il se cacha à fond de cale pour finir par débarquer en France, dans une ville qu’on lui présenta comme Marseille. En sortant du bateau, les pieds noirs de suie (l’expression bien connue viendrait de là), suie qu’il avait récupéré dans la cale du navire, il retrouva son énergie pour son dernier voyage, presque une modalité en comparaison de ce qu’il avait déjà fait sur le continent africain. Il choisit de voyager de nuit afin d’être plus discret et d’éviter les grands axes. Son instinct le guidait sur la route, après tout n’était-il pas le roi des animaux ? Il se nourrissait de lapin et de biche. il sauta une fois dans une benne d’un camion, une autre fois sur un train de marchandises et c’est assez rapidement qu’il se retrouva sur la côte d’émeraude en Bretagne. La traversée en diagonale de la France, il l’avait avalée à la vitesse d’un fou… l’expression fut reprise par la suite au jeu des échecs.
La Bretagne, quel beau pays ! Il n’avait rien vu de tel, ces plages si belles, ces habitants si avenants, ces campagnes si naturelles et riches, ces rivières si poissonneuses. C’était un enchantement à ses yeux. Sa savane lui manquait moins dans ce beau pays, il se sentait à l’aise.
Après être resté un jour ou deux pour se reposer, invité par des gens merveilleux à Saint-Lunaire, il décida rapidement de se rendre sur cette attrayante plage dont Hoopy la grenouille lui avait parlé, la plage de la Fourberie. Arrivé sur la haute dune, ses yeux n’étaient pas assez grands pour apprécier cette beauté qui s’offrait à son regard. L’eau couleur émeraude étincelait, l’écume des vagues caressait le sable doré avec douceur, on aurait dit de la soie. La brise chaude et douce venant du large faisait onduler sa crinière. Il respira cet air pur à plein poumons. Son cœur s’emballa, ses traits s’adoucirent. Il comprit qu’il était au bout du voyage, son voyage, sa quête, son rêve. Il sourit, sur la droite de la plage s’élevait une tour, une demie tour. C’était bien l’amer qui s’élevait au-dessus de la mer que lui avait décrit Hoopy, elle ne lui avait pas menti. Il fallait qu’il attende la pleine lune maintenant, la lune de sang, celle qui s’élève une fois par an lors des tempêtes de décembre quand les planètes sont alignées. C’était le lendemain.
Il passa la nuit dans la grotte sous l’amer. Elle n’était accessible qu’en nageant sous l’eau à marée basse, une nouvelle fois Hoopy avait eu raison, elle lui avait précisé que même les Fourbes ne connaissaient pas son existence. Le fond de la grotte était rempli de caisses d’or et de précieuses tapisseries, des émeraudes en veux-tu en voilà (c’est la poussière de ces pierres qui donnent la couleur à l’eau). Cette grotte était un ancien repère de pirates d’après Hoopy. Là, allongé au calme, il s’allongea sur les tapisseries pour une dernière nuit avant son rendez-vous. Sa nuit fût calme. Il savait que demain serait le jour tant attendu.
Le lendemain, il attendit que le soleil décline dans le ciel et que la lune prenne la suite. Les vents étaient violents. La mer était déchaînée. Des vagues énormes venaient s’écraser sur la plage dans un bruit de fin du monde. Le lion était pourtant calme et serein. Son regard sur l’horizon était fixe. Son cœur battait à tout rompre. La lune finit tout la-haut, la-haut dans le ciel et tout à coup dans un fracas assourdissant, des éclairs zébrèrent le ciel qui s’ouvrit en deux, un peu comme Moïse, sauf qu’ici, c’était le ciel. Une Lumière aveuglante comme il n’avait jamais vu illumina la plage. Il se tourna vers l’amer, mis un genou à terre, c’était le moment supposa-t-il. Il s’adressa à la tour en la suppliant d’écouter sa demande. Il lui demanda un petit lionceau, il lui raconta son périple, sa traversée des contrées. La tour s’était tournée vers lui et l’écoutait avec intérêt. Elle avait compris que les choses étaient graves. Elle avait compris que c’était pour le lion une question de vie ou de mort.
Rapidement, l’amer décida de répondre favorablement à la demande du lion, il l’avait ému. En quelques mots, l’amer expliqua au lion qu’il devait relever une épreuve. Il fallait qu’il se poste sur les rochers à ses pieds et combatte toute la nuit durant, les vagues qui frappaient les pieds de l’amer. Le lion allait devoir renforcer avec d’énormes rochers, le socle sous l’amer. La stature de l’amer était en danger, le lion pouvait la sauver. L’amer libéré des dangers des vagues, son vœu serait exaucé.
Le lion comprit immédiatement qu’il devait se jeter corps et âme dans cette bataille. Il devait sauver l’amer de la mer. L’amer allait le rendre père. L’amer allait lui permettre d’enfanter. Cette épreuve était son épreuve de vie, il se jeta contre les vagues pour aller chercher des rocs sous l’eau pour les entasser sur le socle. Durant des heures, il continua à se battre contre les vagues. Au petit matin, Poséidon qui avait vaincu les Titans, ne pouvait s’en laisser compter. Il envoya des vagues hautes comme des immeubles contre le lion. Elles dépassaient l’amer en hauteur. Pour Poséidon, il suffisait. Il avait décidé de n’en faire qu’une bouchée du roi de la savane. La mer, c’était son domaine, le lion avait beau être roi chez lui, ici, la mer, c’était son pré-carré. L’emblématique Dieu des mers envoya un raz de marée sur l’amer. Le lion fut balayé tel un brin d’herbe. Durant des heures, il tenta de survivre dans cette mer déchaînée. Le combat était dantesque. Le roi de la savane tenait tête au Dieu des mers, qui allait remporter le titre ? Le combat pour le titre poids lourds Frazier-Ali au Madison square Garden en 71, était de la gnognotte à côté. On attaquait le cinquième round. Poséidon allait-il être destitué ? Poséidon s’emporta, qui était ce gougnafier qui osait lui tenir tête ? il y mit toute sa force et d’un coup de revers de la main, balaya le pauvre lion qui se fit engloutir définitivement, usé, vidé, il se fit emporter par une lame de fond scélérate. La mer se calma presque dans la foulée. Poséidon eut un sourire narquois, le style de sourire que détestait Amphitrite, elle le trouvait décidément trop gamin parfois.
Au petit matin, tout était devenu calme. L’amer avait été sauvé grâce au lion qui lui avait durant la nuit, bâtit une véritable muraille de rochers à ses pieds.
Poséidon, bon joueur, avait renvoyé sur la plage le corps du lion mort. Il l’avait transformé en pierre pour que chacun puisse se remémorer le courage du roi de la savane.
L’amer, sourit, de cette attention. C’était maintenant à son tour de respecter son engagement. Ce matin-là, sur l’épaule du lion transformé en rocher qui trônait sur le sable de la plage de la Fourberie, il y avait son fils, un petit lionceau. L’amer cru voir le rocher-lion esquisser un sourire… oui c’est bien cela, le rocher-lion lui avait adressé un clin d’œil !
Alors, dans les fables il y a normalement une morale… Faut-il réaliser ses rêves quel qu’en soit le prix ou laisser son identité s’effacer ?
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Une réflexion sur “La fable de la Fourberie: le lion, la grenouille et l’amer”
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