Qui a repeint la mer à la Fourberie ?

… ou la vérité sur l’affaire de l’amer

Mon nom est Marius.

Il y a quelques jours, je suis descendu comme souvent me baigner, il est vrai qu’en ce moment, en fin de journée, alors qu’il n’y a pas encore beaucoup de monde, se baigner, est un vrai plaisir. 

Je m’étais assis encore ruisselant sur le muret pour apprécier encore le paysage et l’instant. De l’autre côté du mur, trois dames ou devrais-je dire trois grâces d’un certain âge. L’une d’entre elle semblait passionnée par son propos, les deux autres comme envoutées par le récit de la première. J’avais presque tout de suite compris que le sujet était l’amer, leurs voix, montaient naturellement jusqu’à moi. Le sujet était la couleur de la tour, la couleur blanche plus précisément. Visiblement, il était question de savoir, question que tous nous nous posons depuis maintenant un an, qui a repeint l’amer. En effet, les hypothèses courent et toutes les suppositions vont bons trains. L’administration locale n’a pas fait écho de travaux  de ravalement en peinture blanche de la façade mer, on peut être sûr que le coup de peinture pour cacher les tags ne sont pas de leur fait, ils en auraient fait publicité. D’aucuns disent aussi que ce sont peut-peut-être le service des phares et balises, d’autres, le FLLF, le Front de Libération de La Fourberie.

L’une de ces femmes, celle qui racontait aux deux autres cette histoire au sujet de l’amer, souriait à pleines dents, elle s’amusait visiblement. En prêtant l’oreille, oui je sais ça ne se fait pas, j’arrivais à peu près à comprendre qu’elle disait avec un complice, s’en être chargé. Hein…! Je n’en croyais pas mes oreilles. Cette personne plutôt âgée s’en serait occupée? intox ou info? Infox? Je la connaissais un peu de vue, ici dans le quartier tout le monde se connait, elle habitait un peu plus loin, deux ou trois portées de mousquets en direction de la campagne, un peu au calme. Ces propos méritaient d’être confirmés, ma curiosité était piquée. Il me fallait jouer les détectives. En l’espace d’une seconde, je revoyais Jack Gittes, un rôle culte pour Nicholson, casser le feu arrière de la voiture de Faye Dunaway pour sa filature dans la nuit américaine. 

Quelques jours plus tard, j’avais légèrement modifié mon parcours de footing quotidien pour faire en sorte de passer devant chez elle… la vieille dame de la plage pas Faye Dunaway… suivez s’il vous plait!

L’objectif était de mine de rien, de l’aborder alors qu’elle s’occupait de son jardin enfin tel était mon plan. En fait, à la fin de cette même semaine, je l’avais vue une fois devant chez elle, mais je n’ai pas osé, mon côté timide sans nul doute, j’ai juste lancé un « bonjour » amical. La semaine suivante pareil, elle portait un vieux tablier et taillait ses rosiers. A chaque fois un signe de la main pour dire bonjour. Ce n’est que quinze jours plus tard alors qu’elle taillait cette fois sa haie, que je me suis arrêté un peu essoufflé, il fallait. bien que je me lance. J’étais en train de me présenter en tant que voisin histoire de faire ami-ami, elle m’arrêta d’un sourire, « le quartier est petit » précisa-t-elle, « ici tous nous nous connaissons ». Nous avons échangé de la pluie et du beau temps ce qui ici se résume plutôt à la pluie,  au moins ça met tout le monde d’accord. J’ai essayé de l’apprivoiser un peu, nous en sommes restés là, le dialogue était à l’étape 1 dans mon plan d’attaque. Le lendemain, elle était au même endroit quand j’arrivais en courant, c’est vrai que la haie était longue. La discussion a été plus facile, plus naturelle, plus longue. Ce n’est qu’à la fin que j’ai fait une référence à son histoire racontée à ses amies l’autre fois. Elle a souri, m’a regardé dans les yeux, son visage avait changé. tout à coup, la douceur de ses traits s’était évaporée. Son visage devint rêche. Là je me suis dit que j’avais été trop loin et que maintenant que j’en savais trop elle allait devoir m’éliminer d’un coup de taille haie dans le cou. J’allais souffrir, c’est sûr, elle allait devoir m’étouffer pour me finir et m’empêcher de crier au secours. Mais non, non non, un sourire releva les coins de sa bouche et les rides en pattes d’oie de ses yeux me firent comme un clin d’oeil pour me dire que tout allait bien. Elle s’était juste inquiétée de savoir si j’étais digne de sa confiance. Elle s’est moquée un peu de moi en disant que c’était mal d’écouter aux portes. Elle m’a proposé de rentrer prendre ma douche, j’espère que c’était par gentillesse plus que pour des histoires de mauvaises odeurs de sueur et m’a proposé de repasser le soir pour prendre l’apéro. Whouaa, de deux choses l’une, soit j’avais un rencard, mon premier avec une dame qui devait avoir dans les 75 ans au moins, soit elle s’était dit que me trucider sur le trottoir faisait désordre et qu’elle allait finir le job ce soir une fois qu’elle m’aurait alcoolisé. La partie s’annonçait serrée, s’agissant d’alcool je n’étais pas né de la dernière pluie et en Bretagne de la pluie il y en a souvent donc j’avais de l’entrainement… à bon entendeur salut comme on disait ici. 

Le soir, j’étais à l’heure, pas de calcul de retard de bienséance comme les filles, juste de la courtoisie. Elle levait bien le coude la petite dame… après quelques Mauresques, et un certain temps à me juger pour savoir sans doute si j’étais digne de sa confiance, elle répondit à toutes mes questions s’agissant de l’amer, le sujet pour lequel j’étais là. Elle avait dû se dire, qu’elle pouvait tout dire, qu’une fois ma curiosité rassasiée, le poison versé dans mes Mauresques ferait effet, qu’elle aurait toute la nuit pour me démembrer et répartir mes morceaux dans son potager que j’avais aperçu en arrivant, les carottes et les oignons étaient en pleine croissance, le secret de ses plantations résidait dans ses engrais. Les mauresques n’avaient-elles pas effectivement un arrière goût?  Elle s’appelait Lucienne, l’oeil perçant comme le chat, 1m65 à tout casser et malgré ses 75 ans, une vivacité physique malgré son léger embonpoint. Un sourire plein et entier ne quittait pas son visage, elle avait dû avoir de l’allure même si, la notion de plaire l’avait visiblement quittée il y a des années. Elle était habillée comme un sac avec des chaussures qui avaient vécu des jours plus heureux, rien à voir avec le style vestimentaire de Fonzie dans le la série du même nom. Une robe fleurie complétait l’ensemble, elle ressemblait à celles à la mode dans les années 80, la coiffure décoiffée n’avait pas vu de laque Elnett depuis sans doute longtemps. 

La suite c’est Lucienne qui la raconte, contrairement à l’histoire des trois petits cochons ou à celle de la princesse, cela ne commence pas par « il était une fois »:

« Mon nom est Lucienne. J’habite à saint Lunaire depuis presque toujours car ma maison était celle de ma tante avant, enfant je venais ici passer des vacances en famille, ça arrangeait mes parents de se faire inviter, nous n’étions pas une famille très argentée. J’aime préciser que j’habite à la Fourberie, les amoureux de la Fourberie savent pourquoi je précise ce point, dixit certains, habiter à la Fourberie a un goût de paradis. 

Comme tous les matins je sors de chez moi pour ma promenade matinale quel que soit le temps, qu’il vente ou qu’il pleuve même si c’est rare dans notre coin de la Fourberie pas comme à Saint-Lunaire. Elle m’interpella: « vous connaissez le diction?… » et sans me laisser le temps de répondre, elle ajouta: «A saint lunaire, il y a la pluie pour se distraire » et elle éclate d’un grand rire sonore assez fière de sa digression.  Mon rayon de soleil à moi, celui qui me met en joie, c’est non seulement un soleil matinal, mais un ciel azur. Ici à la Fourberie, les habitants savent que ce ciel là, ce ciel pur, ce ciel au bleu redoutable, un beau bleu d’un code Pantone parfait, vous relève les coins des lèvres pour former un sourire ami. Faire ami-ami avec le soleil était dans la Grèce antique, un truc réservé aux privilégiés ici, c’est donné à tout le monde, sans doute un effet de la période socialisme, une évolution suite aux règnes de Mitterand va savoir. De fait, moi Lucienne, ancienne professeur de physique à Valenciennes, j’en profite dès que possible et parfois plusieurs fois par jour. 

Quand vous êtes devant la plage, chaque jour que fait notre seigneur, vous avez une eau vert émeraude qui s’ouvre à l’infini devant vous. Le soleil vous fait plisser le coin des yeux, vous allume la pupille qui brille alors. Une chaude sensation vous parcoure la colonne vertébrale, vos poils sur vos avant-bras se relèvent. Vous vous dites que la vie est belle. Devant vous, le sable couleur or, sur votre gauche la plage s’étire jusqu’à la Fosse aux Vaults et sur votre droite la tour, que dis-je l’amer bien droit dressé dans le ciel et qui surveille fièrement les vagues qui caressent la grève. Un hic, un gros hic même, les tags, de l’art local s’affiche sur le pied de l’amer, sans doute des artistes en mobylettes en manque de reconnaissance. Là… j’ai un peu de mal, j’avoue, et si j’entends de temps en temps les visiteurs ou les voisins  faire des commentaires, tous s’accordent à dire que ce n’est pas du Bansky ou du War, notre artiste rennais, mais plutôt de gauches réalisations artistiques.

En regardant la mer, vous avez parfois une pensée pour vos enfants, vous leur souhaitez le meilleur, ils sont loin maintenant. Ils vous manquent c’est sûr mais vous êtes heureux qu’ils aient bien pris leur envol, comme dit ma voisine, une amie de La Palice, « ainsi va la vie, la vie est faite ainsi ». Je suis ici depuis déjà une dizaine d’années, j’ai laissé mon travail de professeur, mare des gosses mal embouchés, ras le bol des parents qui vous disent que si leur gosse se tape des 3 ou des 5 en physique c’est de votre faute… moi j’avais tendance à penser que ces parents-là, auraient mieux fait de réfléchir à la physique des corps avant de concevoir ces sales mômes.

Ce matin le fond de l’air est frais, lahiho lahiho, il n’y a plus de saison comme disait le chanteur. J’ai sorti ma vieille robe en laine, celle dont mon fils ainé à honte pour moi, oui je sais, elle n’est pas tout à fait de la dernière jeunesse mais j’y suis à l’aise et que voulez-vous, à mon âge, je préfère plutôt le pratique à l’esthétique et celle-ci est facile à enfiler et chaude. Les petites jupes et les talons des années 60, c’est terminé, à mon âge, je donne la priorité à la facilité. J’ai 75 ans et suis veuve. J’ai bien vécu, ma vie a été remplie, je ne me plains pas, enfin pas tout à fait, je grogne sur le prix de l’essence et le gouvernement comme tout le monde mais surtout sur la fille de la météo qui s’évertue à dire qu’en Bretagne il pleut, encore une qui est payée par les lobbies des syndicats de tourisme de la côte d’azur, ils ont tellement peur de perdre leurs touristes au profit de la plus belle région de France. 

Pour ma balade je respecte toujours le même circuit des fois que je me perde, on ne sait jamais.  A soixante-quinze ans, je suis encore en forme, mais j’ai quand même mes petites faiblesses. C’est tout d’abord direction la plage, ça me prend trois minutes, j’habite de l’autre côté de la grande rue, un peu dans la campagne. Mon quartier est calme et je prends plaisir à voir ce joli mélange de notre quartier, un mélange entre mer et campagne. Dans mon jardin j’ai un rouge gorge, des petites mésanges et une jeune grive. Je connais presque tout le monde ici, cela fait quand même quelques soixante ans que je viens ici. J’ai chaussé ce matin mes fidèles chaussures Pédiconfort, avec elles j’irai jusqu’au bout du monde, enfin presque, j’ai pris un peu de poids ces dernières années et parfois, je manque d’un peu de souffle. Je claque le portail et regarde le garage, une pensée pour mon défunt mari, son Austin Healey dort à l’intérieur depuis maintenant dix ans. J’aimais Henri, quand il m’agaçait je l’appelais Riton, il détestait. Une pensée pour nos jolies années de vie commune. Quelques mètres à peine de marche et ma jeunesse revient comme tous les matins. Mes douleurs s’estompent, mon moral est comme le ciel, bleu. Les mains dans les poches, le col de mon manteau relevé et mon chapeau enfoncé jusqu’aux oreilles, je trace. Direction la mer, à l’instinct, comme une tortue qui a fini de pondre mais plutôt à la vitesse du lapin de garenne, pas celui de la fable, c’est un prétentieux.

Alors, tous les jours, c’est pour mon équilibre, j’ai ma promenade. Je pars de chez moi, je descends la rue qui mène à la plage et je m’arrête quelques instants sur le muret pour regarder, pour m’émerveiller de ce que cette nature proche de chez nous, nous délivre comme beauté. A la suite je descends pour marcher sur le sable. Je fais en sorte de choisir les horaires pour descendre sur la grève à marée basse, puis je remonte quelques cent mètres plus loin par le petit chemin et les marches en direction de la rue Boileau. Enfant je ne pensais pas que Boileau me marquerait de la sorte. Là-haut, il y a cette vue, celle qui se jette sur vous quand vous êtes sur le bout de la rue Boileau. « Cent fois sur le métier, remettez votre ouvrage, polissez le sans cesse et repolissez le» disait-il, c’est ce à quoi je travaille tous les jours par respect pour ce grand homme. Devant moi, une langue de sable courbe. Devant moi, la couleur verte si particulière, si profonde *.

Aujourd’hui, chaque jour je fais selon le conseil du poète, sauf qu’une nouvelle fois en remontant les marches, c’est toujours cette vision d’horreur, ces tags sur la surface de la tour, couleur qui devrait être blanche colombe, signe de paix, signe de calme. Chaque jour, je peste, le curé avec lequel je m’en suis exprimé non pas à con-fesse mais lors d’un apéritif, dit qu’il faut pardonner, d’ailleurs il a pardonné à croire qu’il connait les malandrins. Moi, je ne situe pas les chose sur le même aspect, je m’en fiche de pardonner, je veux juste que ça n’ait pas existé. Si les pauvres gosses qui ont fait ça étaient venus me voir, avec Brad le curé, nous aurions fait un atelier peinture sur les murs des ruines de la carrière de sable, tout le monde aurait été content, les gosses m’auraient appris à dispenser les initiales avec une bombe partout sur le mur, va savoir, j’en aurais peut être tiré de la fierté même si mon truc, c’est plutôt le macramé ou la poterie. 

Chaque jour, je peste contre ces petits cons qui, pour faire parler d’eux, ont tangué la tour. Il y a quelques années pour faire les malins, pour montrer qu’ils existaient mais sans doute surtout pour appeler au secours dans leur détresse de vie. Je les plains en fait plus qu’autre chose. Leur acte, une sorte de réflexe sur l’instant pour exister à leurs propres yeux, marque de façon indélébile l’esthétique de la blancheur de la tour. En fait c’est ça qui me gêne, je n’ai pas grand-chose contre l’expression sous forme de tag, mais ici nul rapport avec quelque art que ce soit, c’est sous une forme mineure l’expression d’une détresse ressentie mais qui ici gâche la beauté du site. Mon voisin du bout de la rue, le curé de la paroisse, dit en souriant qu’ils auraient dû s’exprimer en venant au confessionnal de la paroisse plutôt, non seulement Dieu, toujours prêt à pardonner aurait sans doute prêté une oreille attentive et nous en serions restés là. La paroisse aurait pu arguer qu’elle était à l‘écoute des jeunes un deal win win comme aime à ajouter le curé qui en plus d’être abonné à la plateforme Netflix est aussi abonné aux voies du seigneur. 

Brad le curé habite une jolie maison au bout de ma rue. Bien sûr Brad n’est pas son vrai nom, c’est mon voisin communiste d’en face qui l’appelle comme ça. En fait, non dénué d’humour, il fait un rapport entre l’allure du nouveau curé et l’augmentation de la fréquentation des paroissiennes le dimanche lors de la messe, comme si tout à coup, les voies du seigneur étaient devenues pénétrables et qu’elles aient été frappées par une sorte de révélation. Il faut voir les bancs de l’église se remplir de ces nouvelles clientes, il autre façon d’interpréter la multiplication des pains sans doute. Même les bigotes sont étonnées de cette soudaine passion pour la messe. Je n’ose imaginer les rendez-vous à confesse, il doit y avoir la queue pour pouvoir le rencontrer. Le vrai nom du curé est Auguste, sans doute la raison pour laquelle il fait de grands gestes lors de son homélie, il sème la bonne parole. Je dois avouer que je l’aime bien. Nous nous croisons régulièrement lors de ma promenade. De fait il m’a même invité à partager non pas le vin de messe mais une bière rafraîchissante chez lui à quelques reprises histoire de faire connaissance avec le voisinage. Il est agréable et frais dans sa discussion. Il faut reconnaitre que je passe de bons moments avec lui, même si nous avons des divergences sur son métier. Au fil des mois, une complicité s’est nouée, il émaille de sourires et d’attentions ma solitude de vieille femme et prend de son temps pour en passer avec moi lui qui est visiblement assez sollicité dans son office au quotidien, par ses nouvelles clientes. Il a été nommé il y seulement un an,  dans une paroisse d’une commune des environs. Il déjà a su faire montre d’efficacité au sein de la commune, il est le nouveau messie, un peu comme le joueur de football mais sans les ballons d’or. Pas de la même taille que ce dernier, un mètre quatre vingt, les yeux bleus, un teint cuivré et des cheveux blonds et longs. Pour les cheveux longs, il les explique en disant qu’il n’a pas le temps. Moi je le soupçonne de vouloir ressembler à l’original quant au bronzage de son torse, il précise à qui veut bien l’entendre qu’il passe beaucoup de temps à entretenir son jardin. Débroussailler, biner, planter, tailler sont des activités de plein air qu’il pratique à demi nu compte tenu du climat brulant de la garrigue bretonne comme chacun sait. Sa maison est une ancienne maison de famille, il est en train de transformer son jardin en jardin de curé, une vocation j’imagine à moins que ce soit une inspiration divine. Le monde est peut-être simple vue d’en haut, et si c’était ça la destiné d’un curé… de faire des jardins bien carrés pour guider les âmes perdues, leur apporter une subsistance, les guider au gré des allées, cacher leurs péchés derrière les bosquets? 

Auguste est notre voisin depuis presque un an maintenant. Nous passons mon voisin communiste et moi, de plus en plus de temps avec Auguste, nous refaisons un peu le monde lors de quelques diners tous les trois. Il faut bien avoir une grandeur d’âme comme Brad, enfin Auguste pour aimer passer du temps avec nous. Avec mes 75 ans maintenant, les 80 de Didier, Auguste passe vraiment pour un enfant de coeur et du coeur, il nous en donne pour nous faire sourire enfin surtout moi, je dois dire que du haut de la somme des années, des choses pas jolies, j’ai eu l’occasion d’en voir, je suis parfois un peu dépitée. Je regarde le monde changer, je suis triste de voir ce que l’on fait de la planète. Heureusement, tous les sujets de nos rencontres, ne sont pas aussi déprimants. 

Il y a quinze jours, un peu plus énervée que les autres jours, je me suis rendue chez Auguste, le seul jeune de la rue, avec l’idée de lui demander de l’aide pour mon projet. Pour être honnête, j’avais peur qu’il me prenne pour une folle voire un suppôt de satan. Mon plan était somme toute assez simple. Je lui ai expliqué, les détails, un vrai plan d’attaque, une organisation millimétrée. J’ai pris l’annuaire des marées et ai mis en parallèle les nuits de pleine lune. Il me fallait une nuit de pleine lune pour la lumière et une nuit de marée basse pour marcher sur la grève. Au fur et à mesure que je lui parlais, il changeait d’expression. Il m’a écouté stupéfait. Il m’a d’abord regardée comme si j’étais une extraterrestre, puis il a souri, là je me suis dit que j’avais gagné des points. Il ne m’a pas coupé la parole jusqu’à la fin, il était attentif, il était devenu au fil des mes explications de plus en plus intéressé. L’idée était la suivante, je voulais faire quelque chose pour notre planète à nous, la planète la Fourberie, je voulais faire rentrer les choses dans l’ordre, remettre l’église au milieu du village, ce qui pour Auguste le touchait tout particulièrement, je lui proposais de m’accompagner une nuit d’encre pour repeindre l’amer en blanc. Le projet était: rendre sa blancheur et sa candeur à la tour. Lui redonner vie, lui redonner sa superbe et supprimer de la sorte les tags disgracieux. Stupéfaite, il a dit oui à la fin, un petit oui mais un oui quand même. Je jubilais au fond de moi.

Nous y étions. C’était le jour J ou plutôt la nuit N. Le réveil avait sonné à quatre du mat. La veille j’avais sorti le matos sur la table de la cuisine, matos que j’avais pris la précaution d’aller acheter dans plusieurs magasins différents dans les semaines précédentes, Auguste qui est un fan des films policiers, m’avait mis en garde. Bien sûr, j’avais payé en liquide. Comme tout le monde, je lisais aussi des romans de Stéphen King ou Harlan Coben, c’était le minimum en matière de précaution. Vêtue de noir de pied en cap, je m’étais habillée, on aurait dit Paul Newman ou plutôt Elisabeth Taylor dans le film « la chatte sur un toit brulant » sauf que là ce n’était pas un toit mais un tas de cailloux, celui qui faisait office de socle à l’amer. J’étais passé chercher Auguste qui avait lui eut une autre vue du vêtement noir pour se fondre dans la nuit, il avait revêtu sa soutane mais avait fait sauter le col romain quand même, une vision différente de l’humilité sans doute. En silence non pas comme des voleurs mais comme des justiciers, nous frôlions en silence les haies et les maisons en direction de la plage. La bouille ronde de la lune nous donnait juste la lumière suffisante pour nous repérer. Auguste portait les pots de peintures par gentillesse. Pas un mot, nous avions répété, nous étions sereins, rien ne pouvait nous arriver, Auguste avait les voix du seigneur avec lui. En matière d’aide, on ne pouvait espérer mieux semble t-il. C’était d’ailleurs son job à Auguste, il devait surveiller les environs durant l’oépartion. Comme à la parade, la distribution des rôles sur la plage s’est passée comme à Austerlitz, ce chef d’oeuvre de stratégie militaire. Pendant que la mer refluait, Auguste s’est posté sur les hauteurs de la grève. Seul le bruit du ressac rythmait notre souffle,. Nos coeurs vaillants étaient en haleine, dans nos poitrines leurs battements étaient à l’unisson comme si un métronome les avaient réglés sur le même note, celle de l’espoir, celle de revanche pour la liberté de l’amer. 

Au signal d’Auguste, un pot dans chaque main, j’avais traversé en quelques enjambées la grève jusqu’à l’amer. Ma jeunesse retrouvée, je regardais l’amer disparaitre dans le ciel noir et caresser les étoiles. Je souris. Cela faisait longtemps que je ne m’étais pas sentie aussi bien, un léger vent fit valser mes cheveux que j’avais pris la précaution d’attacher en queue de cheval. Non pas comme un cabri, mais doucement, je gravissais les rochers jusqu’à me trouver au pied de l’amer et de la mer. J’avais bien sur la semaine précédente, repéré mon circuit à travers les rochers, je l’avais appris par coeur pour ne pas tomber ou me tordre une cheville, j’avais même trouvé une porte de sortie en cas d’arrivé inopinée de troubles fêtes. Le rouleau à la main, j’avais commencé déjà, la peinture blanche se dispersait sur pierres avec facilité finalement. Un coup de rouleau, puis dix, je prenais la mesure du travail en faisant attention à mes appuis tel un alpiste sur sa paroi. Le vent sifflait et rythmait mon travail. Les choses avançaient bien. Le deuxième pot maintenant, trente minutes presque avaient passées, il restait la partie la plus facile. D’un coin de l’oeil je surveillais Auguste sur la plage, sa soutane battait au vent. De loin, il ressemblait à Robert Mitchum dans la nuit du chasseur. Il restait à son poste fidèlement, il ne faisait pas « le » geste que nous avions déterminé en cas de danger: les bras en croix, j’étais rassurée, les choses se déroulaient comme à la parade. 

La dernière partie s’est déroulée presque comme à la parade, il me restait maintenant à passer rapidement une seconde couche en levant le coude cette fois-ci en marche arrière, cette dernière couche était le job le plus rapide. Quarante minutes s’étaient écoulées, tout s’était déroulé aisément ou presque. J’avais le bras en compote mais le sourire léger. La lumière de la lune m’accompagnait fidèlement, la mer déversait doucement ses vagues sur les rochers en une sorte de caresse. 

Le dernier coup de rouleau passé, je pris un peu de recul, enfin pas trop pour ne pas chuter. Le job était fait et il était bien fait. Mes 75 ans avaient disparu en même temps que les tags. L’amer était fier, la mer aussi, quant à moi, je me disais que le job était fait que nous avions, Auguste et moi rendu à César, sa noblesse de coeur. Ranger les pots et le rouleau maintenant, inscrire FLLB en guise de signature au pied en noir et faire chemin inverse. Attention à la descente sur les rochers humides, oui, aller doucement et quitter la place avec le sentiment du travail justement fait. Auguste me sourit, nous avons remonté le chemin en silence. En le laissant devant chez lui, une nouvelle fois il me sourit, un sourire de complicité, un sourire de sales gosses, un sourire de contentement, nous avions remis les choses dans l’ordre, nous pouvions dormir tranquille. Comme disait Hannibal le poète dans l’agence tout risque, « j’adore comme un plan, se déroule sans accroc ». 

Demain serait un autre jour, le jour se lèverait dans quelques heures avec un nouvel oeil sur la plage. Notre regard à nous mais aussi celui des autres, serait joyeux lors de nos prochaines balades mais aussi celles de tous. 

*cf pour l’explication de la couleur emeraude, la fable du Lion, de la grenouille, et l’amer : https://leseditionsdelafourberie.fr/2021/12/30/la-fable-de-la-fourberie-le-lion-la-grenouille-et-lamer/

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